Iran- Arabie Saoudite – Chine et rapprochement diplomatique

IRAN-ARABIE SAOUDITE–CHINE - RAPPROCHEMENT DIPLOMATIQUE

En mars dernier, l’Iran et l’Arabie Saoudite, deux poids lourds du Moyen-Orient, ont décidé de rétablir des relations diplomatiques, après sept ans d’une rupture envenimée par le conflit au Yémen. Le rétablissement de ces relations diplomatiques a été permis à l’issue de pourparlers en Chine. Les Ambassades et les représentations diplomatiques doivent rouvrir dans les deux mois, et les deux pays se sont engagés à ne pas s’impliquer dans les affaires intérieures d’autres États selon un communiqué conjoint publié par les médias d’État des deux pays . De manière discrète, alors que les Américains sont absorbés par leur guerre contre la Russie en Ukraine, la Chine s’affirme comme un acteur majeur de la géopolitique de cette région ultra-sensible. Et rebat les cartes des équilibres régionaux jusqu’à présent distribuées par Washington. Entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, les liens diplomatiques avaient été rompus en 2016 après que l’ambassade saoudienne à Téhéran avait été envahie par des manifestants protestant contre l’exécution d’un religieux chiite saoudien Nimr Al-Nimr par Riyad. D’autres pays du Golfe, dont les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn avaient par la suite réduit leurs liens diplomatiques avec Téhéran pour soutenir Riyad. D’ailleurs, ces derniers mois, les Émirats Arabe Unis et le Koweït avaient repris leurs relations diplomatiques avec l’Iran. Les tensions entre Chiites et Sunnites qui déchire le Moyen-Orient depuis des décennies s’étaient amplifiées durant cette période. Les Iraniens et Saoudiens ont soutenu des belligérants opposés de la Syrie au Yémen, et la tension a culminé en 2019 quand des attaques de drones ont frappé des champs pétroliers en Arabie Saoudite.

Indéniablement cet accord apparaît comme un coup de maitre de Pékin, il a été favorisé par des signes d’apaisement. D’abord au Yémen où une trêve soutenue par l’ONU tient depuis un an. La Syrie n’est plus un enjeu depuis que le Président Bachar al-Assad a gagné la guerre avec l’appui des Russes et des Iraniens. Pékin avait signé en 2021 un vaste accord stratégique sur vingt-cinq ans avec Téhéran dans des domaines aussi variés que l’énergie, la sécurité, les infrastructures et les communications. Et l’Arabie saoudite se détache peu à peu de sa tutelle américaine. Pour l’Arabie saoudite, chaque fois que Riyad se détache un peu plus de la tutelle américaine (le dernier exemple en date, c’était en octobre 2022, lorsque le royaume a refusé d’augmenter ses quotas pétroliers comme le souhaitait Washington) les relations sino-saoudiennes elles, se sont resserrées. Sur le plan diplomatique : quand le prince héritier Mohammed Ben Salman est boycotté par les chancelleries après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, Pékin a été le premier à lui dérouler le tapis rouge. Sur plan économique toujours : la Chine est le premier partenaire commercial de l’Arabie Saoudite, loin devant les États-Unis. Des accords ont aussi été signés pour une usine de fabrication de drones, qui sera la première usine de production chinoise à l’étranger. Cet accord ne scelle pas encore une alliance entre les Iraniens et les Saoudiens et il ne ferme pas le fossé ouvert par les intérêts divergents au Liban, en Syrie ou au Yémen. Il n’aborde pas la question du programme nucléaire iranien qui a fait de l’Iran un pays « paria » depuis une vingtaine d’années. Avec des sanctions américaines, qui ont mis l’économie iranienne à genoux. Il ne met pas encore un terme à l’axe américano-israélien, qui a toujours su profiter de cette diabolisation de l’Iran afin de mieux manipuler les pays arabes du Golfe. Mais cet accord permet une réduction significative des tensions, un progrès que l’on pensait impossible, il y a encore peu de temps. C’est également une défaite pour Washington dans une région stratégique, après plusieurs guerres menées et des centaines de milliards de dollars dépensés. L’intervention russe en Syrie avait déjà démontré le recul de l’influence américaine, confirmé par le succès de la diplomatie secrète chinoise. La Chine est le seul débouché pour le pétrole iranien, et ce pays s’est hissé à la première place parmi les partenaires commerciaux de l’Arabie Saoudite. L’Arabie Saoudite importe depuis peu des technologies militaires sensibles de Chine dans le domaine des missiles. L’inquiétude était grande à Téhéran de voir les liens entre Saoudiens et Chinois se renforcer, isolant encore plus l’Iran. Pendant sa visite à Riyad en décembre dernier, Xi Jinping avait d’ailleurs participé à un appel des pays arabes demandant aux Iraniens de coopérer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). La réaction de Téhéran avait montré à Xi Jinping qu’il y avait un boulevard diplomatique à exploiter pour devenir un acteur régional de premier plan. L’administration Biden a, en quelque sorte, offert cette victoire diplomatique à la Chine en se détournant de la région pour se focaliser sur le conflit en Ukraine. Les Saoudiens en ont conclu que l’avenir serait multipolaire et que si les bases américaines restaient une garantie de sécurité, il fallait développer les relations avec la Chine et la Russie, pays dont la diplomatie ne s’embarrasse pas de leçons sur les « droits de l’homme » et de double standard. C’est un affront fait à Washington alors que les relations sino-américaines sont glaciales. Le Président Biden a bien essayé de raviver l’alliance avec le Prince Mohammed bin Salman lors d’un voyage à Riyad en juillet 2023, mais sans résultats. Les avancées réalisées par l’administration Trump qui avait rapproché Saoudiens et Israéliens face à l’Iran, sont remises en question. L’inquiétude est donc très grande en Israël déjà confronté au tumulte de sa politique intérieure et à la répression contre le peuple palestinien. D’autres pays arabes comme les Emirats arabes unis, le Qatar, la Jordanie ou encore le Liban ont également salué l’annonce. En Israël en revanche, pays ennemi juré de l’Iran et du Hezbollah libanais, le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a jugé que « l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran était un échec total et dangereux de la politique étrangère du gouvernement israélien ». Alors que Xi Jinping vient d’être réélu pour un troisième mandat, la Chine porte un coup à son rival dans une région qui est devenue le « ventre mou » de la diplomatie américaine. Les États-Unis ont réagi avec prudence et scepticisme. L’administration Biden est cantonnée au rôle de spectateur. Certains élus républicains ne croient ni au rôle de médiateur impartial de la Chine ni au fait que l’Iran tiendra ses engagements, mais l’évidence s’impose : il y a redistribution des cartes. Les États-Unis ont beau disposer de plusieurs dizaines de milliers de militaires au Moyen-Orient leur influence politique, diplomatique et stratégique est en perte de vitesse.

La confiance vis-à-vis des États-Unis a été entamée par plusieurs facteurs :

– Tout d’abord le fait que l’accent a été mis par les États-Unis sur la Chine en tant qu’adversaire stratégique ;

– la priorité accordée plus récemment à la guerre en Ukraine, qui se transforme en guerre de l’Otan contre la Russie .

– la réticence passée des États-Unis à répondre aux attaques iraniennes contre des cibles saoudiennes et émiraties .

– Et enfin les désaccords sur les niveaux de production pétrolière et les droits humains.

La médiation de Pékin, a, quoiqu’il en soit, suscité beaucoup plus de surprise en raison du peu d’appétence de la Chine à endosser un rôle sur les questions politiques et de sécurité dans la région. Cependant, au vu du contexte bloqué sur l’accord nucléaire avec l’Iran et des impacts de la guerre en Ukraine sur l’inflation des prix alimentaires et énergétiques dans la région, seul Pékin pouvait agir pour calmer le jeu. Ses excellentes relations avec l’ensemble des acteurs régionaux, l’Arabie saoudite et les autres États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), mais aussi avec l’Irak, l’Iran, Israël et l’Égypte, lui offrent l’opportunité de s’ériger en acteur global responsable, en parrainant un accord destiné à apaiser les tensions et à prévenir un conflit ouvert entre Israël et l’Iran. L’échec du président américain Joe Biden à raviver l’accord sur le nucléaire (JCPoA) et à freiner l’escalade entre Tel-Aviv et Téhéran a fait craindre le pire à Riyad et Abu Dhabi. Depuis la période post-pandémie, les deux pays poussaient Pékin à peser davantage en tant que premier partenaire commercial de la région. La normalisation avec l’Iran, rendue possible par l’engagement de Pékin à s’assurer que les parties respectent les principes de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures, comble de fait la perte d’influence politique américaine auprès des dirigeants du Golfe, de même que l’incapacité des pays régionaux, facilitateurs du dialogue saoudo-iranien, à concrétiser un tel accord. La Chine s’est, à ce titre, révélée l’actrice idoine pour s’assurer du sérieux de Téhéran. En outre, la plateforme qu’offre Pékin pour parrainer cet accord de normalisation est une nouvelle occasion à saisir pour Riyad, car tout ce qui a été tenté depuis quarante-cinq ans avec Washington pour stabiliser la région a échoué. L’ensemble des pays de la région, hormis Israël, ont donc accueilli avec soulagement cette normalisation. C’est surtout l’investissement de la Chine en tant que puissance susceptible d’aider à bâtir des mesures de confiance entre ces deux États qui sont ses partenaires pivots dans la région qui suscite le plus d’espoirs parmi les monarchies du Golfe. Riyad attend que Téhéran agisse pour faciliter les réconciliations internes au Yémen et use de tout son poids pour convaincre les houthistes de conclure une paix durable à la frontière du royaume. Riyad souhaite aussi que cette normalisation puisse contribuer à calmer le jeu avec les milices chiites en Irak et du Hezbollah au Liban. De son côté, la République islamique, défiée depuis septembre 2022 par une contestation populaire, d’abord marquée par la « révolte des femmes » et plus globalement des populations dans les régions périphériques kurde et baloutche où Riyad est accusé de soutenir ces régions majoritairement sunnites, attend du royaume qu’il évite de s’immiscer dans ses affaires intérieures, comme le suggérerait le soutien financier saoudien à un média d’opposition iranien à Londres. Ces leviers dont dispose Riyad, à un moment où la légitimité de la République islamique n’a jamais été aussi faible, semblent avoir pesé pour convaincre le régime iranien, fragilisé à l’intérieur comme à l’extérieur, à négocier avec le royaume saoudien. Mais ce succès diplomatique de la Chine a entrainé une réaction américaine, en effet, dès le 14 mars, soit quelques jours après la publication du communiqué saoudo-irano-chinois, le Sénat a finalement confirmé la nomination à Riyad de son ambassadeur, Michaël Ratney (arabisant et fin connaisseur de la région). Ce dernier avait pourtant été désigné un an auparavant, en avril 2022, alors que le poste d’ambassadeur était vacant depuis le mois de janvier 2021. Cet accord sous patronage de la Chine ne se résume pas pour l’Arabie à contrebalancer la présence américaine. Il reflète la préférence pour l’approche de Pékin qui privilégie le principe des modalités de négociation pour la résolution de conflits entre deux États plutôt que de proposer une architecture de sécurité globale alternative. Ainsi, Pékin aurait convaincu Riyad d’accepter de renouer avec Téhéran sans poser de condition préalable à Téhéran sur la question de l’abandon du soutien aux houthistes. Le 30 mars, les déclarations du porte-parole iranien du ministère des affaires étrangères, Nasser Kanani sur la volonté de son pays de tout faire pour parvenir à une paix juste au Yémen, sont à ce titre révélatrices, d’un changement d’attitude. Mais l’Iran est-il capable d’imposer à ses alliés le respect de l’accord tripartite ? Ceux-ci ont aussi leur propre agenda, comme en témoignent les réactions négatives de certaines milices irakiennes proches de l’Iran ou celles des houthistes, qui ont toujours affiché leur indépendance vis-à-vis de Téhéran. En revanche, l’allié historique, le Hezbollah libanais, par la voie de son secrétaire général Hassan Nasrallah a accueilli très positivement l’accord, annonçant qu’il aurait des effets immédiats au Liban et au Yémen.

En ce qui concerne l’Arabie, c’est sur la dynamique économique que le prince héritier mise pour engager les nouvelles orientations de sa diplomatie. Il souhaite la construire sur la base d’une meilleure intégration régionale, en investissant dans les infrastructures, la logistique, la sécurité alimentaire, la transition énergétique et tout ce qui touche aux biens communs et à la sécurité humaine. Semblant avoir tiré les leçons de son expérience interventionniste désastreuse au Yémen en 2015 et dans la crise qui l’a opposé au Qatar à partir de 2017 dans le sillage de son ancien mentor, le président de la Fédération des Émirats arabes unis, Mohamed Ben Zayed (MBZ), devenu depuis son concurrent, MBS caresse comme son voisin émirati le rêve de faire de son pays le hub économique, technologique et touristique du Proche-Orient. Fort de sa « Vision 2030 », flanqué de son slogan « Saudi First », MBS ambitionne de faire du royaume, compte tenu de la place qu’occupe son pays au cœur de la péninsule Arabique, le hub logistique de l’Asie occidentale avec l’aide de la Chine et de la route de la soie (Belt and Road Initiative, BRI), chère au président Xi Jinping. Atteindre ces objectifs passe d’abord par la fin de la guerre au Yémen et l’évitement de toute confrontation militaire entre Israël et l’Iran. C’est ainsi qu’il faut comprendre la décision de Riyad de s’associer, en tant que « partenaire du dialogue » à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) chapeautée par Pékin et Moscou, le 29 mars ou encore son intérêt manifesté en mai 2022 à adhérer aux BRICS aux côtés de l’Algérie, de l’Égypte, de l’Indonésie, des EAU, ou du Sénégal. Au niveau régional, cette dynamique se traduit par les multiples partenariats multilatéraux et processus de détente avec la Turquie, l’Iran et le Qatar. Ou encore l’imminente normalisation avec la Syrie, probablement annoncée lors du prochain sommet de la Ligue des États arabes qui se tiendra le 19 mai 2023 à Riyad. Tout comme la Chine a favorisé la normalisation avec l’Iran, la Russie aurait facilité ce rapprochement en s’assurant que Damas empêche les exportations illégales de Captagon, la drogue qui inonde le marché saoudien et des voisins du Golfe. Ce faisant, l’Arabie ne veut pas se positionner contre les États-Unis. Le pays poursuit avec autant d’entrain ses relations économiques avec les grandes entreprises américaines, à l’image du contrat conclu le 14 mars avec Boeing pour 37 milliards de dollars (34 milliards d’euros), ajoutés aux nombreux contrats d’armements conclus avec Washington après la visite du président Biden dans le royaume (15-16 juillet 2022). Toutes les déclarations officielles de Riyad ont consisté, depuis la conclusion de l’accord, à rassurer le partenaire américain, en soulignant, sa volonté de trouver un juste équilibre entre les deux superpuissances avec lesquelles Riyad partage des intérêts différents, mais pas incompatibles.

En conclusion, la diplomatie chinoise apparait de plus en plus comme un contrepoids et en opposition désormais frontale avec la stratégie des Etats-Unis. Cet accord irano-saoudien a un intérêt majeur, celui de positionner l’Arabie saoudite et l’Iran comme des acteurs constructifs dans la réduction des tensions régionales. La Chine est devenu un acteur important au Moyen-Orient. Et les sanctions contre la Russie ne font pas l’unanimité auprès des pays non-occidentaux, pour qui l’émergence d’un monde multipolaire est une priorité. D’autant plus, que l’on constate que les grands perdants de ces sanctions contre la Russie sont également les européens. Enfin, le temps où les pays occidentaux pouvaient dicter leur volonté aux pays de la région semble révolue. Les relations se feront désormais en fonction d’intérêts multipolaires et propres à chacun des pays de la région. Dans ce nouvel ordre mondial, les occidentaux vont désormais devoir composer avec les présidents chinois Xi Jinping et russe Vladimir Poutine, qui sont à la manœuvre pour diriger désormais le spectacle multilatéral et multipolaire. Le président Poutine l’avait précédemment défini comme une nouvelle politique anticoloniale. Il s’agit désormais d’un patchwork multipolaire et par voie de conséquence de la dissolution des vestiges de la Pax Americana, qui est probablement irréversible.