Produire de l’hydrogène vert

Produire de l’hydrogène vert

De nombreux scientifiques envisagent l’hydrogène (H2), comme la solution à nos problèmes énergétiques et climatiques. L’hydrogène est présenté comme l’énergie propre du futur. Dès 2019, l’Agence internationale de l’énergie l’a assuré, l’hydrogène doit jouer un rôle clé dans la transition énergétique. Associé à une pile à combustible, il apparaît en effet sans émission locale de CO2. Mais le bilan de son utilisation n’est pas aussi simple. Pour l’hydrogène, comme pour toutes les autres solutions, il faut peser les avantages et les inconvénients et veiller à une mise en œuvre durable. Dans sa mise en œuvre, il est fondamental de réduire au maximum les risques de fuites de ce gaz dans l’atmosphère, car l’hydrogène pourrait s’avérer bien plus néfaste au climat que le dioxyde de carbone (CO2).

« Le carburant solaire », c’est la formule qu’a choisi Alan W. Weimer, professeur au département de génie chimique et biologique de l’Université du Colorado[1] pour parler d’un hydrogène vert produit grâce à l’énergie solaire. Cette méthode l’approche « thermochimique » permet de décomposer l’eau en hydrogène et en oxygène gazeux. Traditionnellement, cette décomposition est faite par électrolyse et demande de considérables dépenses énergétiques. Néanmoins, ce procédé permet de produire de l’hydrogène en quantité, ce qui n’était, jusqu’à présent, pas le cas de la méthode thermochimique. Alan Weimer et une équipe de chercheurs ont démontré dans un article publié dans la revue Joule[2] qu’il était possible d’appliquer cette fameuse méthode sous des pressions très élevées, en utilisant des matériaux à base d’aluminate de fer, à la fois abondant et peu coûteux. Leur découverte a permis de doubler leur production d’hydrogène. Une découverte qui pourrait ouvrir la voie d’une production d’hydrogène plus vertueuse et commercialement viable, utile notamment dans le domaine des transports et de la sidérurgie. Le Soleil est notre source d’énergie par excellence. Il fournit l’énergie qui rend possible la vie sur Terre. Il est également à l’origine des réserves de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Il suffirait de capter une minuscule fraction de l’énergie solaire pour approvisionner en énergie l’humanité tout entière. En l’absence de nuages, quand le soleil et haut dans le ciel, chaque mètre carré reçoit 1 kW, soit l’équivalent d’un chauffage électrique standard. Pour de nombreuses applications, c’est le flux d’énergie solaire moyen net qui importe. Il prend en compte l’influence des nuages et de la nuit et varie beaucoup au fil des saisons. La moyenne européenne est de 125 W/m2, ce qui est l’équivalent en énergie d’environ 100 litres de pétrole par mètre carré et par an. Comment capter cette manne d’énergie solaire ? La nature a développé un système efficace, qui inclut le stockage de l’énergie solaire, c’est la photosynthèse. Serait-ce une solution viable d’approvisionnement énergétique ? Pour satisfaire la consommation actuelle d’énergie de la France en cultivant des plantes de façon renouvelable, il faudrait mettre en culture la totalité du pays. Les agrocarburants sont donc un complément au mixte énergétique. Le problème de la photosynthèse, c’est son faible rendement, en effet, seule une petite partie du flux d’énergie solaire est exploitée (moins de 1% en Europe). Les cellules photovoltaïques sont bien plus efficaces, et elles ne concurrencent pas la production alimentaire. La meilleure façon d’utiliser l’énergie solaire est aussi la plus simple, c’est de mettre à profit directement la chaleur du soleil. Une fenêtre retient presque 80% du flux de chaleur incident. Le principe des capteurs solaires thermiques est simple: une plaque noire à température ambiante absorbe presque tout le rayonnement solaire. Si on les utilise pour chauffer de l’eau, ils peuvent tirer parti du flux solaire intense durant les mois d’été. Pour le chauffage, il faut leur associer un stockage sur le long terme. C’est envisageable dans le cas de grandes unités d’habitation, comme un lotissement ou un immeuble de bureaux. Une unité d’appoint s’impose, alimentée par exemple au gaz naturel. Des systèmes de stockage chimique sont en cours de développement. Ils ne présentent pas de pertes thermiques d’une saison sur l’autre. Les cellules photovoltaïques convertissent directement le rayonnement solaire incident en électricité. Le rendement des cellules actuelles (à base de silicium) atteint 25% en laboratoire et 14 à 20% pour les modèles commerciaux. Pour améliorer le rendement, on peut combiner différents matériaux dont la sensibilité à la couleur est différente, ainsi la lumière transmise par une couche pourra être absorbée par la suivante. On parle de cellules multi-jonctions. Un rendement record de 44,7% a été atteint en 2013 par une équipe de recherche franco-allemande comprenant le CEA, avec une nouvelle structure de cellule solaire à quatre jonctions. De nombreux autres développements sont en cours. Les cellules solaires sont bien plus efficaces que la photosynthèse, mais de grandes surfaces restent nécessaires pour une production substantielle d’électricité. Pour produire l’équivalent d’une centrale conventionnelle (1000 MW), il faudrait en France une surface nette de 53 km2 de cellules solaires avec un rendement (optimiste) de 15%. Dans les régions les plus ensoleillées de la planète, l’énergie solaire thermodynamique par concentration est une bonne alternative aux panneaux photovoltaïques. Plusieurs centrales pilotes produisant de l’électricité ont déjà été construites aux États-Unis et en Espagne, et leur rendement varie de 15 à 30%.

L’hydrogène (H) est l’élément le plus abondant dans l’univers connu avec 75% en masse et plus de 90% en nombre d’atomes. On en trouve essentiellement au cœur des étoiles et dans les atmosphères des planètes géantes gazeuses. Sur Terre, l’hydrogène entre notamment dans la composition de l’eau (un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogène (H2O))-et dans celle de la matière vivante (10% de la masse d’un corps humain est constituée d’hydrogène). Une abondance qui pourrait constituer un avantage de taille dans la course à une énergie durable. Rappelons par ailleurs que l’hydrogène n’est pas à proprement parler une source d’énergie, mais plutôt un vecteur d’énergie, tout comme l’électricité. Il sert à transporter de l’énergie produite par une source primaire (pétrole, gaz ou uranium) jusqu’aux usagés. Ainsi, l’hydrogène pourrait servir « au stockage de l’électricité dans le cadre du déploiement massif des énergies renouvelables intermittentes » ou même « au commerce de l’électricité entre différentes régions pour surmonter les différences saisonnières ou de capacité de production ». L’hydrogène pourrait également « être utilisé à la place du gaz naturel pour la production de pointe, fournir de la chaleur de procédé pour les besoins industriels ou être utilisé comme matière première dans la production de divers produits chimiques et hydrocarbures synthétiques ». Enfin, « les piles à combustible à base d’hydrogène pourraient alimenter le secteur du transport lourd (camions, bus, navires et trains) ». Pour déterminer si l’hydrogène est une énergie propre, c’est-à-dire sans émission de polluants ni de gaz à effet de serre, il faut prendre en compte son cycle de vie complet, du puits à la roue, en d’autres mots, de sa production à son utilisation. Ainsi, notons d’abord que l’utilisation d’hydrogène pour la production d’électricité dans une pile à combustible ne génère pour seul déchet que de l’eau. Il n’y a aucune émission de polluants sur le site en question. Son usage peut donc être qualifié de propre. À ceci près qu’en général, l’hydrogène étant un gaz très peu dense, il doit être comprimé ou liquéfié, ce qui nécessite le recours à une quantité importante d’énergie qui, elle, peut ne pas être aussi propre. Par ailleurs, si l’hydrogène est abondant, il est rarement présent à l’état pur dans la nature. Pour le séparer des autres éléments (carbone, oxygène, etc.), il faut, là aussi, mobiliser de l’énergie. Aujourd’hui, pour des raisons économiques, 95% de l’hydrogène est produit à partir de sources fossiles: par reformage de gaz naturel notamment ou par gazéification de charbon de bois. Des procédés a priori émetteurs de CO2. Cet hydrogène ne peut donc pas être considéré comme propre. Sauf si les procédés de reformation sont couplés à des procédés de capture et de stockage de ce CO2, avec une augmentation du coût de production. Ou si l’on parle de gazéification d’une biomasse reconstituée au fur et à mesure pour améliorer son empreinte carbone.

L’hydrogène peut aussi être produit par électrolyse de l’eau. Une technique qui permet de décomposer, grâce à un apport d’électricité, les molécules de H2O en dihydrogène (H2) et en oxygène (O). Sans émission de CO2 donc. À condition que l’électricité en question soit elle-même une électricité d’origine renouvelable, solaire photovoltaïque ou éolienne par exemple. De quoi faire donc de cet hydrogène-là, qui reste aujourd’hui plus de quatre fois plus cher que l’hydrogène produit à partir de ressources fossiles, une énergie propre. Certains voient dans l’hydrogène (H2), la solution à tous les problèmes énergétiques et climatiques. L’élan est sans précédent. Mais les scientifiques nous préviennent que pour l’hydrogène, comme pour toutes les autres solutions, il faut peser le pour et le contre et veiller à une mise en œuvre durable. Des études soulignent ainsi aujourd’hui l’importance de réduire au maximum les risques de fuites de ce gaz dans notre atmosphère. Car l’hydrogène pourrait s’avérer bien plus néfaste au climat que le dioxyde de carbone (CO2). Voici pourquoi. Une étude publiée, en avril 2022, par le département britannique des Affaires, de l’Énergie et des Stratégies industrielles (BEIS)[3] et des scientifiques des universités de Cambridge et de Reading et du National centre for atmospheric science (NCAS), indiquait que toute fuite d’hydrogène pourrait affecter la composition atmosphérique, avec des implications sur la qualité de l’air, et aura un effet de réchauffement indirect sur le climat, compensant partiellement certains des avantages attendus de la réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Ce que les chercheurs soulignent, c’est qu’une augmentation de la concentration en hydrogène dans notre atmosphère, plus particulièrement dans la troposphère, la couche la plus proche du sol, diminuera la disponibilité en radicaux hydroxyles (OH). Ceux-là même qui participent à la décomposition du méthane (CH4), un puissant gaz à effet de serre. Selon ces travaux, la durée de vie du CH4 dans notre atmosphère augmenterait d’un an pour chaque augmentation de concentration de une (01) partie par million (ppm) d’hydrogène. Et finalement, même si nous parvenions à réduire nos émissions de méthane, sa concentration dans notre atmosphère pourrait ainsi continuer d’augmenter, dans le cas où les fuites de H2 seraient totalement incontrôlées. Autre gaz à effet de serre, que les chercheurs s’attendent potentiellement à être impacté, par la présence d’hydrogène dans l’atmosphère, c’est l’ozone (O3) troposphérique. Parfois qualifié de « mauvais ozone », car il est à la fois polluant et réchauffant. Mais ils soulignent ici que les avantages associés à la réduction des émissions de méthane, de monoxyde de carbone (CO), de composés organiques volatils (COV) ou d’oxydes d’azote (NOx) résultant de l’adoption d’une économie de l’hydrogène devraient permettre d’équilibrer les choses. Une légère augmentation de la concentration d’une part, contre une tendance à diminuer les concentrations d’autre part. Il demeure toutefois une incertitude quant à l’ampleur de la réduction de ces émissions en fonction des technologies réellement remplacées par l’hydrogène. Une augmentation de la concentration en H2 dans notre atmosphère ne devrait pas non plus avoir d’effet significatif sur l’ozone stratosphérique. Celui qui, cette fois, nous protège des rayonnements ultraviolets dangereux qui nous arrivent du Soleil. En revanche, plus d’hydrogène dans l’atmosphère fera bien monter la concentration en vapeur d’eau (H20) dans la stratosphère. La vapeur d’eau qui, rappelons-le, est l’un des principaux acteurs de l’effet de serre. Si la concentration en H2 devait augmenter de 1,5 ppm, c’est le scénario de fortes fuites, la concentration en vapeur d’eau pourrait augmenter de plus de 1 ppm.

En conclusion, les chercheurs notent que l’adoption de l’hydrogène comme vecteur d’énergie pourrait certes réduire les émissions de CO2 et offrir ainsi des avantages climatiques significatifs. Mais que, pour les maximiser, il faudrait à la fois réduire les fuites à leur strict minimum et limiter les émissions d’autres gaz à effet de serre, notamment le méthane. Selon les calculs, une augmentation de la concentration en hydrogène, de l’ordre de 1,5 ppm prise seule ferait monter les températures mondiales de 0,12°C, sans tenir compte des effets de la réduction des émissions de CO2 associée. Si en parallèle, les émissions de méthane ne diminuent pas, la température augmentera de 0,43°C. Mais si les fuites sont maîtrisées tout comme les émissions de méthane et des autres gaz à effet de serre précités, l’adoption d’une économie de l’hydrogène participera à faire baisser les températures de 0,26°C. Tenant compte de toutes ces nouvelles données et incluant les effets indirects sur les gaz à effet de serre, les chercheurs montrent finalement que le potentiel de réchauffement global (PRG) de l’hydrogène sur 100 ans est de l’ordre de 11. En clair, il pourrait être 11 fois plus néfaste au climat que le CO2. Même si les chercheurs reconnaissent que des incertitudes majeures demeurent quant à l’ampleur du puits d’hydrogène dans le sol, ils appellent à faire de la limitation des fuites d’hydrogène, une véritable priorité.

[1] https://www.colorado.edu/chbe/alan-w-weimer

[2] 50 Joules – « Pressure-enhanced performance of metal oxides for thermochemical water and carbon dioxide splitting » Justin T. Tran, Kent J. Warren, Dragan Mejic, Dana S. Hauschulz, Carter Wilson, Alan W. Weimer. DOI:https://doi.org/10.1016/j.joule.2023.07.016. Extract : « Summary – The thermochemical dissociation of water and/or carbon dioxide over a reduced metal oxide has long been thought to be independent of total pressure, as the number of moles of gaseous reactants (i.e., H2O and/or CO2) and gaseous products (i.e., H2 and/or CO) is equal. In this study, however, through careful experimentation, we conclusively demonstrate that in an open system—where product gases are swept away from the reaction site—operating at elevated pressures improves both the equilibrium extent and rate of the aforementioned equimolar oxidation reaction. These findings have important implications for the viability of commercial systems, as the discovery of a temperature-independent technique for increasing reactant conversion not only enables the use of more earth-abundant materials but may also finally facilitate the development of a process for the production of green hydrogen (or syngas) that is both practical and efficient. » https://www.cell.com/joule/abstract/S2542-4351(23)00314-8

[3] « Atmospheric implications of increased Hydrogen use » By Nicola Warwick, Paul Griffiths, James Keeble, Alexander Archibald, John Pyle, University of Cambridge and NCAS and Keith Shine, University of Reading. Published on April 2022. https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/1067144/atmospheric-implications-of-increased-hydrogen-use.pdf