« L’Etat doit aider le culte musulman à s’organiser »

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LE MONDE | 15.05.2015 à 13h12 • Mis à jour le 15.05.2015 à 13h38

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Il faut « faciliter la mise en place sur tout le territoire, en appui des organisations musulmanes concernées et sous contrôle préfectoral, d’un enseignement supérieur de théologie musulmane à destination, notamment, des imams de France ».Séverin Millet

 Au lendemain des attentats de janvier, la France a ouvert les yeux sur l’un des plus grands défis auxquels elle est confrontée : sa cohésion nationale. Bien vivre ensemble ne va pas de soi. On ne bâtit pas une nation en divisant son peuple.

Les discours politiques qui ont suivi ces attentats ont fait naître un espoir vite déçu. L’ambivalence des sentiments qu’inspirent l’Islam et la « communauté musulmane » est revenue à son plus haut niveau.

D’un côté, l’Etat brandit le bouclier de la laïcité pour défendre le modèle républicain face au danger que les différentes communautés feraient peser sur l’unité du pays.

De l’autre, dès qu’il s’agit de s’adresser aux Français musulmans, l’Etat se tourne vers une instance religieuse, en l’occurrence le Conseil français du culte musulman (CFCM), dont il veut faire une sorte de clergé pour un islam de France. Or, l’islam sunnite, majoritaire dans notre pays, ne peut, par essence, fonctionner sur la base d’une hiérarchie cléricale pyramidale.

Conséquence directe, les Français musulmans ne se reconnaissent pas tous dans les organisations censées les représenter, tel le CFCM ; ni dans les analyses de certains imams ou dans les propos de spécialistes. Les Français musulmans se sentent agressés par des propos véhiculant en permanence l’idée que les musulmans doivent se désolidariser des terroristes, ou s’excuser des actes que ces derniers commettent et avec lesquels les musulmans n’ont rien à voir. Sans quoi, l’islamophobie ne se résorbera jamais.

Adapter la loi de 1905 au XXIe siècle

Une autre absurdité entretient la discorde. Les Français musulmans forment la seule communauté dont on exige qu’elle se plie à deux injonctions contradictoires, qui varient avec l’actualité : se fondre dans la société en tant que Français à part entière, ou manifester dans la rue en tant que musulman.

Enfin, aucun responsable politique ne devrait perdre de vue que les bouleversements liés à la mondialisation ont des conséquences économiques et sociales multiples, qui menacent la cohésion nationale bien davantage que tout le reste.

Face à cette situation, chacun doit prendre ses responsabilités. Il revient aux Français musulmans de construire un espace démocratique, qui reflète leur diversité et se place au service de l’intérêt général ; une agora républicaine, traversée d’antagonismes et de solidarités, au sein de laquelle une totale liberté de penser favorisera le dialogue, les débats et l’émergence de propositions élaborées au plus près du terrain. Elle aurait pour vocation de devenir un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics sur toutes les questions relatives aux Français musulmans, sans que l’Etat soit contraint de passer par le filtre d’organisations religieuses.

De son côté, l’Etat doit agir sans tarder et adapter la loi de 1905 à notre époque, car le contexte de la fin du XIXe siècle, qui a conduit à séparer l’Eglise catholique de l’Etat, n’a plus rien à voir avec la situation de l’islam et des Français musulmans au XXIe siècle. Il ne s’agit pas de revenir sur le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ni même sur la laïcité à la française, qui reste le ciment des valeurs de la République. Mais l’Etat doit comprendre que s’il ne s’implique pas dans l’organisation de l’islam en France, il laisse l’opportunité à d’autres de le faire à sa place.

Un enseignement plus étoffé du fait religieux

Dans cette perspective, plusieurs pistes ou idées méritent d’être débattues :

1. Encourager l’instauration d’un vrai dialogue avec les différentes communautés au niveau des villes. L’expérience menée avec Marseille Espérance, un groupe informel qui réunit, autour du maire de Marseille, les principaux responsables religieux, depuis une vingtaine d’années, pourrait inspirer d’autres villes. De la même façon, il serait intéressant de tirer toutes les leçons du régime concordataire en Alsace et en Moselle.

2. Dans les établissements scolaires, proposer aux jeunes du secondaire un enseignement plus étoffé du fait religieux et, pour ceux qui le souhaitent, un approfondissement sur une ou plusieurs religions, en veillant bien au strict respect des principes de la laïcité.

3. Faciliter la mise en place sur tout le territoire, en appui des organisations musulmanes concernées et sous contrôle préfectoral, d’un enseignement supérieur de théologie musulmane à destination, notamment, des imams de France.

4. La « garantie du libre exercice des cultes » (loi 1905) suppose de pouvoir pratiquer son culte dans des conditions satisfaisantes. Pour cela, élaborer un « plan mosquées 2020 » (construction, rénovation) dans lequel l’Etat et les collectivités se proposeraient de jouer un rôle de facilitateur et, au travers d’une fondation ad hoc, aideraient à la supervision, avec les différentes parties prenantes, du financement des opérations de construction ou de rénovation des mosquées, limitant ainsi les influences étrangères.

Dans le même temps, identifier l’ensemble des demandes de transformation d’organisations culturelles (qui servent de cadre juridique à un lieu de culte) en organisations cultuelles, à condition pour elles de respecter les lois et valeurs de la République.

Les Français musulmans ont besoin que l’Etat s’implique. Cette intervention n’a pas vocation à être permanente. Cet appui de l’Etat est aujourd’hui indispensable, car, à la différence des autres grandes communautés qui composent la France, les musulmans sont encore peu représentés, que ce soit dans la société civile, en politique ou sur le plan religieux. Si l’intelligence l’emporte sur les manipulations, les angoisses et la peur, les défis auxquels nous sommes confrontés constituent une formidable chance de redonner un corps à la nation française.

Dany Cohn-Bendit (Ancien député européen), Alexandre Malafaye (Écrivain et président du think thank Synopia) et Nasser Zammit (Écrivain et essayiste)

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