Colloque du 29 MAI 2015 sur la cohésion nationale au Palais du Luxembourg

Photo-Sénat

Intervention de Nasser Zammit

 Mesdames et Messieurs bonjour,

Tout d’abord, je voudrais remercier les organisateurs d’avoir pris l’initiative de ce colloque parce qu’il nous permet d’évoquer un sujet hautement sensible…

Au lendemain des événements tragiques de janvier 2015, la France a été confronté à l’un des plus grands défis, depuis des décennies : sa cohésion nationale.

1/ Je voudrais d’abord revenir sur l’émotion qui a saisi la France après les événements de janvier dernier, nous avons assisté à une triple réaction : une réaction d’horreur immédiatement suivie d’une manifestation de solidarité, mais également d’une stigmatisation marquée des musulmans de ce pays.

Après ces événements, ce que j’appellerai la parole toxique et les actes islamophobes se sont amplifiés, visant des citoyens français. Provoquant artificiellement un débat sur l’identité, qui a eu pour conséquence de faire des enfants de la diversité des boucs émissaires de tous les malaises de la République. Cet acte terroriste est plus qu’un crime : c’est un événement politique, non pas parce qu’il est l’attentat le plus meurtrier commis en France depuis 1961, ou parce qu’il touche à la liberté d’expression et à celle de la presse, mais parce qu’il transforme un débat intellectuel en question quasi existentielle : s’interroger sur le lien entre l’islam et la violence conduit à s’interroger sur la place des musulmans en France.

C’est une question importante parce qu’elle porte sur la cohésion de la société française, qu’on la perçoive comme menacée par une présence musulmane croissante (et c’est désormais l’opinion dominante) ou, plus encore, menacée par une islamophobie exacerbée par le terrorisme de quelques-uns. Le risque majeur serait alors celui d’une ostracisation croissante des musulmans de France et d’Europe.

2/ Second point important à souligner, c’est que les français de confession musulmane ont souvent été accusés d’avoir insuffisamment dénoncé la violence et le terrorisme, comme s’ils en étaient directement responsables.Il faut arrêter de confondre l’islam avec les dérives extrêmes commises par des fanatiques qui ne représentent pas les valeurs universelles de cette religion. Les Français musulmans se sentent agressés par des propos véhiculant en permanence l’idée que les musulmans doivent se désolidariser des terroristes, ou s’excuser des actes que ces derniers commettent et avec lesquels les musulmans n’ont rien à voir.
Je veux juste rappeler ici que les premières victimes du terrorisme, à travers le monde, sont d’abord les musulmans eux-mêmes.

D’autre part, certains imputent à la population musulmane une communautarisation qu’on lui reproche ensuite de ne pas exhiber. Certains ne cessent de parler de cette fameuse communauté musulmane, soit pour dénoncer son refus de vraiment s’intégrer, soit pour la stigmatiser. Ces deux pensées opposées sont fondées en fait sur le même fantasme d’une communauté, qui serait la cinquième colonne d’un ennemi imaginaire. Admettre qu’il n’y a pas de d’ennemi de l’intérieur, mais une population de Français de confession musulmane, qui aspire à être respectée et à vivre en paix.
Ce simple constat serait déjà un bon antidote contre l’hystérie présente et à venir.

On reproche aux musulmans d’être communautarisés, mais on leur demande de réagir contre le terrorisme en tant que communauté. C’est ce qu’on appelle la double contrainte : soyez ce que je vous demande de ne pas être. Et la réponse à une contrainte ne peut être qu’inaudible.
Cette absurdité entretient la discorde. Les Français musulmans forment donc la seule communauté dont on exige qu’elle se plie à deux injonctions contradictoires.

3/ Je pense également que certains débats n’ont pas facilité les choses. Je pense, en premier lieu, à celui sur l’identité nationale. La notion d’identité nationale ne saurait avoir de validité scientifique, elle est une construction sociale imaginaire qui, sous couvert d’unité, tend à renforcer les divisions, les discriminations et les inégalités…
Un État qui se veut démocratique ne saurait édicter l’identité d’une nation, que ce soit en termes ethnique, culturel, moral ou encore idéologique.
En second lieu, je pense aussi au débat sur la question du voile.
Et enfin, celui sur le fichage d’enfants musulmans dans les écoles de Béziers, à partir du nom et du prénom. Le maire de Béziers, Robert MENARD, en faisant cela, nous a rappelé les heures les plus sombres de l’histoire de ce pays.
Ainsi, après les critères de détection des signes de radicalisation, les débats politiciens sur les repas de substitution, l’interdiction du voile à l’université ou dans les crèches privées ont confirmé l’idée que les événements de janvier n’avait rien changé à la vie des musulmans de ce pays.

La laïcité est toujours instrumentalisée pour mettre de côté les musulmans de confession et de culture. Et les discriminations dont ils sont l’objet sont noyées au milieu des controverses. A cause de la crispation sur l’islam, après avoir été catalogués comme « enfants issus de l’immigration », puis « issus de la diversité » ou encore plus hypocritement « issus des banlieues », les Français de parents post-coloniaux ont disparus sous le vocable de « musulmans », quand bien même cette identité ne signifient rien pour eux.
Bien évidemment, beaucoup se sont sentis pris en otage, coincés entre ce qu’ils vivent comme suspicion généralisée et le sentiment d’être étrangers aux phénomènes de radicalisation.

Associer délibérément la violence à une religion, comme beaucoup l’ont fait ces dernières années, c’est aussi en stigmatiser les croyants. Je pense qu’il est dangereux d’assimiler l’islam à une communauté violente et monolithique et la société française crée elle-même un désert en opposant la laïcité à la radicalisation. Cette stigmatisation permanente des musulmans dans laquelle la France s’enfonce, détruit peu à peu ce consensus national basé sur quatre principes fondamentaux : la liberté, la tolérance, la laïcité et la citoyenneté. De plus cela ouvre de dangereuses brèches qui sont potentiellement destructrices pour la paix, l’unité et la cohésion nationale de ce pays.

Alors, derrière toutes ces problématiques et ces oppositions, je crois qu’il faut quand même s’arrêter sur plusieurs questions fondamentales:

  • Dans quel contexte national et international sommes nous ?
  • Si les faits démentent la thèse de la radicalisation de la population musulmane, pourquoi sont-ils inaudibles ?
  • Pourquoi s’interroge-t-on autant sur la place d’une religion dans la République ?
  • Et sur ce dernier point, la question de la prétendue incompatibilité de l’islam avec la laïcité, apparaît encore une fois au premier plan.

Le défi intellectuel soulevé par les attentats est immense. Mais les terroristes, qui ont agi au nom de l’islam, sont-ils le produit du radicalisme religieux, de l’islamophobie, de crises sociales, familiales, ou du contexte international ? Mais quelque soit la réponse à ces questions c’est avant tout un échec de notre société. Aujourd’hui chacun se renvoie la balle, ce qui rend difficile la compréhension du phénomène et laisse un boulevard à ceux qui voudraient lui appliquer une grille de lecture exclusivement religieuse.

4/ Nous devons prendre de la hauteur et regarder autour de nous. Nous vivons, aujourd’hui, dans un monde globalisé ou, de toute façon, tous les acteurs du changement sont interdépendants, où tout est lié, et le malheur des uns ne fera jamais le bonheur des autres.

Dans les faits, l’ensemble de la population de notre planète est désormais rythmé par une inévitable communauté de destins. Mais derrière ces questions, il y a deux facteurs fondamentaux.

Le premier facteur, c’est que là où il y a un conflit aujourd’hui, il suffit de regarder les cartes, c’est aussi là où il y a les niveaux les plus faibles d’indices de développement humain.

La corrélation est de 100%. Regarder la carte des IDH et celle des conflits, regardez cette bande qui va de la Mauritanie à la corne de l’Afrique et du Yémen. Ce sont les lieux, les espaces ou les IDH sont les plus faibles. Il y a sûrement quelque chose à faire derrière cette vraie problématique.

Le second facteur, c’est qu’il y a aussi un énorme déficit du politique. Ce qui est le dénominateur commun de tous ces conflits sociétaux, c’est la défaillance et la panne du politique. L’absence de réinvention du politique, c’est-à-dire le politique remplacé par la compromission, par le clientélisme, par les accommodements, par les rafistolages, c’est l’anti-politique par excellence.

Ce dont nos sociétés ont besoin, ce n’est pas de rafistolage laissé à la discrétion de dirigeants qui se succèdent. Cette société a besoin d’inventer et de réinventer son politique. Pour reprendre le propos d’Emmanuel Todd, (dans son dernier livre) « Qui est Charlie » : L’urgence pour la société française, ce n’est pas une réflexion sur l’islam mais une analyse de son blocage global.

5/ Conclusion

Même si les musulmans de France n’ont jamais rien demandé, même si la plupart d’entre eux sont laïcs, que la majorité d’entre eux a montré sa grande capacité à coexister avec toutes les autres composantes de la société, on continue à mettre en avant un discours ambiant qui ne leur laisse, bien souvent, que le choix entre extrémisme et «islam modéré», alors ils prennent le second, faute de mieux, ou se révoltent en flirtant avec le premier.

On ne parle pas de catholique modéré, ni de protestant modéré, ni de bouddhiste ou de juif modéré.

Finalement le « musulman modéré » c’est la version contemporaine du « bon musulman ».

Nous en sommes à nous poser des questions essentielles pour la survie de la République, de la démocratie et de la laïcité réunies, des questions basées sur la longueur de la jupe des collégiennes ou du port du foulard.

Mais nous passons à côté des vrais enjeux de notre société. Nous oublions l’état réel de l’évolution sociale et économique d’un pays sinistré, ce qui a pour effet d’occulter les problèmes économiques et les sentiments d’injustice.

Ce qui est à craindre aujourd’hui, c’est le risque d’emballement. L’image de la laïcité à la française est en train de changer. Longtemps perçue comme un modèle accueillant, elle apparaît dorénavant comme hostile. On peut craindre que cela n’entraîne une hypertrophie des conflits d’identité et la généralisation du soupçon parce qu’insensiblement toute personne de confession musulmane devient suspecte.

Et les responsables de la communauté musulmane doivent aussi se remettre en cause.

Paradoxalement, sur les 6 à 7 millions de Français musulmans, moins d’une dizaine sont parlementaires. Cette situation soulève des questions intellectuelles, philosophiques, institutionnelles, juridiques et politiques pour lesquelles la société française, dans son ensemble, se doit d’apporter des réponses adaptées et pertinentes.

Et la question légitime qu’il faut se poser sur ce point, c’est où sont donc passés les idéaux républicains. ?

La nation française s’est construite sur la base de vagues successives d’immigration et d’adhésion à un certain nombre de valeurs permettant de dépasser les différences d’origines.

Dans 30 ans il n’y aura plus personne pour payer nos retraites voilà un signe de notre déclin – 3 français sur 4 viennent de l’immigration. Alors n’en déplaise à tous les Cassandre, la France a plus de chances de réussir que d’autres pays occidentaux. Non seulement sa population musulmane est la plus importante d’Europe, mais la plus grande partie de cette population est parfaitement assimilée alors qu’elle sont beaucoup plus radicalisées ailleurs sur le continent, en Grande-Bretagne ou en Espagne par exemple.

La nation française est aujourd’hui la plus métissée d’Europe, une chance dans un continent menacé de déclin à cause du vieillissement démographique.

C’est donc à la France de saisir cette chance.