Peu de choses rapprochent Donald Trump de Thucydide. Historien grec du IVème me siècle avant J.-C., il n’aurait sans doute pas été intéressé par l’Art of the Deal de l’actuel président américain. Par contre, ce dernier, qui a lancé une guerre commerciale des plus radicales contre la Chine, gagnerait à méditer l’Histoire du Péloponnèse de Thucydide. Une guerre que Thucydide jugeait inéluctable face à la montée d’Athènes et la peur qu’elle a inspiré à Sparte et qui rendait inévitable la guerre du Péloponnèse.
Deux mille cinq cents ans plus tard, sa réflexion reste d’actualité. Elle a amené Graham Allison à forger la notion de « piège de Thucydide ». Lorsqu’une puissance émergente conteste l’hégémonie d’une puissance établie, l’histoire montre que cette dernière lui a souvent fait la guerre. C’est la conclusion que Graham Allison tire de l’analyse de seize cas de « passage de relais » d’une puissance à l’autre depuis le XVIème siècle et dans quatre cas seulement, dont la succession du Royaume-Uni par les États-Unis, les protagonistes ont évité le piège de Thucydide.
Qu’en sera-t-il de l’Amérique ? Une guerre sino-américaine est-elle inévitable ? Il est difficile d’imaginer une guerre entre deux puissances nucléaires, aussi Allison pense-t-il que Washington ne prendra pas l’initiative d’un troisième conflit mondial pour détruire la Chine avant que celle-ci l’ait rattrapé. Cependant, la guerre peut revêtir d’autres formes et la réflexion de Thucydide peut se réécrire ainsi : Les ambitions technologiques de la Chine et la peur qu’elles ont inspirée aux États-Unis rendaient inévitable une guerre économique et virtuelle. Non seulement la montée en puissance de la Chine a été plus rapide que celle d’Athènes, mais elle a été accélérée par les initiatives de Washington. A commencer par l’attribution du statut de la « Nation la plus favorisée » (NPF) à la Chine en 1979, alors même que Pékin ne respectait pas l’amendement Jackson-Vanik (1974) liant l’obtention de ce statut à la libre circulation des personnes. Interrogé sur ce point par le président Carter, Deng Xiaoping avait r pondu par une boutade : « Combien de Chinois voulez-vous ? Un ou dix millions ? »
Et les États-Unis de faire une exception pour la Chine, ainsi le statut NPF lui a été renouvelé chaque année, y compris après les événements de la place Tian’anmen. À la fin de la décennie 1990, Washington a donné le feu vert à l’adhésion de la Chine à l’OMC. Dans l’esprit des négociateurs américain, l’insertion de l’empire du milieu dans le commerce mondial accélérerait sa croissance et en élargissant la classe moyenne, conduirait à la démocratisation, voir même à l’implosion du parti communiste chinois.
L’accélération qui a suivi cette adhésion a surpris les Américains. L’écart entre le PIB chinois et américain a diminué plus rapidement encore après la crise de 2008 dont la Chine est sortie en investissant plus en dollars courants que les États-Unis.
En 2009, les exportations chinoises ont dépassé les exportations américaines et en 2010, la Chine a détrôné les États-Unis à la première place mondiale dans le secteur manufacturier. Une place qu’ils avaient ravie au Royaume-Uni à la fin du XIXème.
Cette nouvelle n’a pas eu un grand retentissement en Amérique où par contre, en 2014, l’annonce du dépassement du PIB américain par le PIB chinois en parité de pouvoir d’achat a marqué les esprits. Depuis, l’écart s’est creusé et le prolongement hasardeux des courbes montre que le PIB chinois (en dollars courants) rattrapera le PIB américain dans moins de dix ans.
Les États-Unis conserveront-ils leur avantage dans les hautes technologies et dans l’intelligence artificielle ? C’est un enjeu bien plus stratégique. En fermant leur marché, les Chinois ont construit l’équivalent des GAFA, avec Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi, dont les services n’ont rien à leurs envier. Le plan « Made in China 2025 » vise à renforcer l’industrie chinoise dans une dizaine de secteurs dont la robotique et l’IA, où l’avance américaine se réduit. Au congrès de l’Intelligence artificielle à la Nouvelle Orléans en février dernier, Américains et Chinois ont presque fait jeu égal dans le nombre de communications acceptées. Par contre, la Chine a pris l’avantage sur les États-Unis dans la mise en œuvre de l’IA : elle dispose du plus grand réservoir de données et son gouvernement ne protège pas la vie privée des citoyens.
Mobilisés par les guerres au Proche-Orient, les États-Unis ont tardé à prendre la mesure de ce rattrapage jusqu’à l’élection de Barack Obama à la Maison Blanche. Pour contenir cette émergence, le président américain a cherché à l’enserrer entre deux alliances de pays partageant les mêmes valeurs libérales : le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) et son cousin germain le Partenariat transatlantique ou TAFTA. Ces deux traités contiennent des mesures « au-delà des frontières » que la Chine aurait eu du mal à accepter. Vue de Pékin, la stratégie américaine se traduisait par l’équation : TPP + TAFTA = TSC,« Tout sauf la Chine ».
Pendant la campagne électorale de 2016, Donald Trump, de même que Bernie Sanders ou Hilary Clinton qui avait « vendu » le TPP en tant que Secrétaire d’État, ont critiqué ce traité. La première décision du président Trump a été d’en sortir. Il a ensuite attendu décembre 2017 pour déclencher son offensive contre la Chine sur plusieurs fronts. Menée sur le front commercial et technologique, l’offensive actuelle de Donald Trump, bien accueillie par sa base électorale, vise le même objectif : ralentir la progression chinoise.
Comment ? D’abord en renforçant le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), qui depuis plusieurs mois évalue tous les investissements étrangers (y compris les participations minoritaires). Ainsi, Washington avait provoqué l’effondrement des Investissements directs étrangers (IDE) chinois sur le marché américain en 2018.
Deuxième pilier de l’offensive : les taxes douanières ont été portées à 10% en mai 2025. (Ils étaient de 25 % en janvier 2019) sur 200 milliards d’importations chinoises. Toutefois dans cette guerre des taxes les États-Unis et la Chine ont ramenés leurs droits de douane à respectivement 30% et 10% pour 90 jours, depuis mai dernier.
De cette manière, Washington vise des milliers de produits souvent ciblés par le plan « Made in China 2025 » et crée un climat d’incertitude pour freiner les IDE américains vers la Chine. Ces hausses visent moins à réduire le déficit américain, il sera compensé par le creusement du déficit avec d’autres pays asiatiques, qu’à freiner les exportations et la croissance chinoises. Elles peuvent amener Pékin à renoncer à sa stratégie de désendettement et à prendre le risque de s’endetter davantage pour financer une relance.
Qui gagnera ce conflit en passe de se transformer en guerre froide économique ? Tout le monde, si les protagonistes arrivent à un compromis que chacun présentera comme une victoire. Qui le perdra ? Tout le monde, si le conflit s’aggrave et fragilise l’architecture institutionnelle qui a favorisé l’émergence depuis 1945, des pays en voie de développement dont la Chine en tête.
Mais la réalité est là, la Chine est en passe de devenir la puissance dominante de cette prochaine décennie. La puissance industrielle de la Chine est aujourd’hui inégalée avec deux fois la part des États-Unis dans le secteur manufacturier en 2025, quatre fois la part des États-Unis dans le secteur manufacturier d’ici 2030 (ONU), deux fois la production d’électricité aux États-Unis, trois fois la production automobile aux États-Unis, treize fois la production d’acier américaine, vingt fois la production de ciment aux États-Unis et deux cent fois la capacité de construction navale des États-Unis.
La Chine progresse également dans la chaîne de valeur. Elle produit désormais environ 50% des produits chimiques utilisés dans le monde. 50% des navires du monde. 67% des véhicules électriques dans le monde. 75% des batteries du monde. 80% des drones grand public dans le monde. 90% des panneaux solaires du monde et 90% des terres rares raffinées du monde.
La Chine est en passe de gagner la prochaine révolution industrielle. En effet, ce pays a installé 50% des robots industriels du monde ( soit 7 fois plus que les États-Unis). La Chine est le leader dans la technologie nucléaire de 4e génération, elle prévoit de construire plus de 100 réacteurs nucléaires et dépasse désormais les États-Unis en termes de brevets actifs et de publications les plus citées. Et cela se transforme en avantage militaire avec 1,5 fois le nombre total de navires de guerre américains d’ici 2030. 65 nouveaux navires d’ici 2030 (435 en RPC contre 300 aux États-Unis). La Chine est désormais le leader dans l’hypersonique et dans la communication quantique. Elle maitrise totalement la fabrication des moteurs à réaction. Et son industrie est capable de construire des centaines de chasseurs de 4e génération par an.
La montée en puissance économique de la Chine s’accompagne d’une volonté affirmée d’accroître son influence géopolitique. Il est désormais indéniable que La Chine va détrôner les États-Unis. Ce XXIe siècle sera marqué par l’émergence d’une puissance qui menace de redéfinir l’ordre mondial tel que nous le connaissons. La Chine, avec son développement économique fulgurant et son influence croissante sur la scène mondiale, apparaît comme un prétendant sérieux au trône de la première puissance mondiale, traditionnellement occupé par les États-Unis depuis 1945. À terme, la confrontation ou la coopération entre la Chine et les États-Unis sera déterminante pour l’avenir du système international. Le monde regarde avec attention comment cette compétition influencera non seulement les nations concernées, mais aussi l’ordre mondial dans son ensemble.