Bosnie – Le risque de sécession serbe

Bosnie – Le risque de sécession serbe

Trente ans après la fin de la guerre, la Bosnie-Herzégovine est au bord d’une nouvelle crise, alimentée par les velléités sécessionnistes de Milorad Dodik, le leader des Serbes bosniens, poursuivi par la justice. Près de trente ans après la fin de la guerre, la Bosnie semble au bord d’une nouvelle crise, attisée par les menaces sécessionnistes de Milorad Dodik, le chef des Serbes bosniens, recherché par la justice. À l’approche du trentième anniversaire des accords de Dayton, qui ont mis fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995), ce pays est confronté à une nouvelle crise politique, menaçant plus que jamais son unité. En aout dernier la Commission électorale centrale bosniaque a annoncé que même si aucun résident de la « Republika Srpska » ne votait lors des élections anticipées prévues en novembre sur le territoire serbe, les électeurs la Fédération conjointe bosno-croate pourraient toujours « déterminer le résultat ». Cela signifie concrètement que les électeurs bosniaques et croates de la Fédération décideront de l’avenir politique des Serbes et de leur gouvernement en « Republika Srpska ». Il est fort probable que les responsables et les citoyens serbes de la Republika Srpska invoqueront ce scénario comme argument en faveur d’une éventuelle sécession serbe de la Bosnie.

Le système politique de la Bosnie-Herzégovine, établi par les accords de Dayton en 1995, repose sur une structure délicate de partage du pouvoir entre les trois groupes ethniques principaux : les Bosniaques, les Croates et les Serbes. Chaque groupe a ses propres institutions et spécificités culturelles. Dans ce cadre, les élections sont plus qu’un simple exercice démocratique ; elles sont un reflet des rapports de force ethniques et une source de légitimité pour les différents gouvernements. Lorsque la Commission électorale annonce que les électeurs de la Fédération peuvent influencer le résultat des élections dans la « Republika Srpska », cela interroge directement la question de la souveraineté et de l’autodétermination des Serbes de Bosnie.

Le président de l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine Milorad Dodik a entamé depuis plusieurs mois, un nouveau bras de fer avec l’autorité centrale: le parquet national avait demandé son interpellation mercredi 12 mars. Mais le président nationaliste continue à espérer des nouvelles avancées pour l’autonomie des Serbes de Bosnie, bénéficiant du soutien du président américain Donald Trump. La question de la représentativité électorale en Bosnie-Herzégovine constitue donc un potentiel catalyseur de sécession pour la « Republika Srpska ». Cette situation soulève des questions profondes sur la légitimité, l’autonomie et l’identité politique au sein de ce pays déjà fragile, ravagé par les conflits ethniques et les tensions historiques.

À Dayton, en 1995, les négociations de paix qui mettent fin à un conflit sanglant, redessinent le pays. La communauté serbe (orthodoxe), contrainte d’accepter l’indépendance de la Bosnie, obtient en échange une large autonomie sur 49% du territoire ce sera la « Republika Srpska ». Dans l’autre moitié du pays, les Bosniaques (musulmans) et les Croates (catholiques) cohabitent tant bien que mal. Mais aucune communauté ne voit l’avenir du pays de la même façon : les Croates (15,4% de la population) veulent plus d’autonomie, les Serbes (30,8%) luttent pour préserver la leur, et les Bosniaques (50,1%) souhaitent un renforcement de l’État central. La Bosnie est ainsi allée de crise en crise, jusqu’à la dernière, qui a éclaté autour d’un sujet éminemment sensible, celui des biens de l’État. Il s’agit d’un millier de biens immobiliers, de rivières, de forêts, de terrains, de bâtiments civils et militaires, plantés, construits ou installés sur le territoire de la Bosnie.

Pour les Bosniaques, leur seul propriétaire doit être l’État, pour les Serbes, ils doivent appartenir aux entités. À défaut de compromis, le sujet est « gelé » depuis 2005. Arrivé en Bosnie en août 2021 au poste du Haut représentant international, haut fonctionnaire nommé par la communauté internationale pour faire respecter l’accord de paix, l’ancien ministre allemand Christian Schmidt s’est donné pour mission de mettre fin à ce flou institutionnel et juridique qui décourage les investissements. Selon lui « seul l’État de Bosnie-Herzégovine peut disposer des biens de l’État, et réglementer leur répartition entre divers niveaux de pouvoir ». Pour le président de la Republika Srpska (RS), Milorad Dodik, « la question des biens est la ligne rouge ». Pour lui, dépourvue des biens, la RS ne serait qu’une « coquille vide ». Il accuse Christian Schmidt et les puissances occidentales de vouloir priver l’entité serbe de « ses biens », pour l’« affaiblir ». À son initiative, le Parlement de l’entité serbe adopte en décembre 2022 une loi sur les biens immobiliers qui stipule que les biens de l’État qui se trouvent en RS appartiennent à ses institutions et aux entreprises publiques qui les utilisent.

La législation est suspendue en février 2023 par Christian Schmidt, qui dispose de pouvoirs discrétionnaires, puis par la Cour constitutionnelle du pays. En réaction, le Parlement de la RS adopte, en juin 2023, deux nouvelles lois stipulant que les arrêts de la Cour constitutionnelle et les décisions du Haut représentant ne sont plus appliqués dans l’entité serbe. Une nouvelle fois, Christian Schmidt intervient pour suspendre ces lois. Mais il ne s’arrête pas là, puisqu’il fait modifier le code pénal bosnien pour permettre à la justice locale de poursuivre tout responsable politique qui rejetterait les décisions du Haut représentant et celles de la Cour constitutionnelle. Une menace ignorée par Milorad Dodik, qui promulgue malgré tout les lois suspendues. Il est donc inculpé en août 2023 pour non-respect des décisions du Haut représentant. Le procès s’ouvre en février 2024. Dodik qui dénonce un « procès politique » est reconnu coupable le 26 février 2025, et condamné à un an de prison et à une interdiction d’occuper des fonctions publiques pendant six ans. Il rejette immédiatement le verdict prononcé en première instance et affirme ne plus avoir l’intention de se rendre devant la cour à Sarajevo. En riposte, le Parlement de la RS prend de nouvelles dispositions qui flirtent avec la sécession, en interdisant à la justice et à la police centrales du pays d’exercer sur le territoire de l’entité. Milorad Dodik promulgue ces lois début mars et annonce au passage une nouvelle Constitution pour la RS, une armée de l’entité, une police aux frontières, une éventuelle confédération avec la Serbie. Le Parquet d’État ouvre donc une nouvelle enquête pour attaque contre l’ordre constitutionnel qui vise, outre Milorad Dodik, son Premier ministre, Radovan Viskovic, et le président du Parlement, Nenad Stevandic. Mais les trois dirigeants refusent la convocation des procureurs pour être interrogés à Sarajevo, et la justice lance le 18 mars un mandat d’arrêt national. Leur arrestation est néanmoins jugée risquée par les autorités. En attendant, Milorad Dodik met en scène sa vie à Banja Luka, chef-lieu de l’entité serbe. On le voit souffler ses 66 bougies le 12 mars, célébrer un baptême, dîner en hommage à la journée internationale du droit des Femmes… Puis, le 24 mars, il quitte la Bosnie pour la Serbie, avant de se rendre en Israël, déplacement dont il publie de nombreuses photos. La Cour d’État réagit, et émet le 27 mars un mandat d’arrêt international à son encontre, demandant à Interpol de diffuser une « notice rouge », qui n’était pas encore publiée le 1er avril. Entre-temps, Milorad Dodik a atterri à Moscou d’où il a envoyé un message vidéo. Dans les faits, « l’objectif politique de Milorad Dodik est de créer […] un état d’anarchie juridique (…) qui pourrait rendre la Bosnie vide de sens en tant qu’État », résume Veldin Kadic, professeur à la faculté des Sciences politiques de Sarajevo. Le « pari est grand » et c’est une «voie sans retour» : «C’est soit Dodik, soit la Bosnie-Herzégovine». Apparemment, Milorad Dodik a décidé d’aller jusqu’au bout et de lier son sort à celui de l’entité serbe et de la Bosnie-Herzégovine, dont fait partie cette entité avec la Fédération croato-musulmane. Ce n’est pas un phénomène nouveau, les exemples de dirigeants au pouvoir quasi absolu s’identifiant au sort de leur pays ne manquent pas dans les Balkans. Cependant, les agissements de Dodik deviennent particulièrement dangereux dans le contexte géopolitique actuel. Depuis le verdict contre Dodik, rendu le 26 février dernier, pour non-respect de l’autorité du haut représentant de la communauté internationale, il est quasiment impossible de prévoir comment la situation va évoluer, encore moins quel serait l’avenir de la Bosnie-Herzégovine.

Dodik aurait pu faire appel de sa condamnation à un an de prison et six ans d’inéligibilité, mais il a choisi de défier la communauté internationale en organisant le 26 février à Banja Luka, la capitale de l’entité serbe, un grand rassemblement, en présence du président serbe, Aleksandar Vucic. En Bosnie-Herzégovine la tension est palpable et renforce des sentiments déjà présents parmi les responsables et citoyens serbes de la Republika Srpska. Beaucoup interpréteront cette situation comme une forme d’imposition extérieure, une ingérence dans leurs affaires internes, et cela pourrait alimenter des revendications de sécession. Historiquement, la Republika Srpska se perçoit comme une entité distincte, avec un fort ressentiment à l’égard de la domination bosniaque et croate. Les dirigeants politiques serbes, tels que Milorad Dodik, n’hésitent pas à évoquer des idéaux nationalistes et à promouvoir la possibilité d’une indépendance, renforçant ainsi une rhétorique qui pourrait encore polariser les relations interethniques en Bosnie.

Les conséquences d’un mouvement sécessionniste dans la Republika Srpska seraient loin d’être confinées au seul territoire bosniaque. Elles toucheraient également les politiques régionales des Balkans, déjà marquées par des tensions persistantes. Une telle décision pourrait susciter des préoccupations chez les voisins de la Bosnie, notamment en Serbie, où une telle évolution pourrait être perçue comme un catalyseur pour des aspirations nationalistes similaires. Cela pourrait entraîner une escalade des tensions ethno-nationalistes dans la région, compromettant la stabilité fragile des Balkans. La situation actuelle en Bosnie-Herzégovine et la potentielle influence des électeurs de la Fédération sur le choix politique de la Republika Srpska soulèvent des inquiétudes majeures. Les implications d’une telle réalité ne se limitent pas à des débats théoriques sur la démocratie ou la représentation, mais engendrent des questions existentielles sur l’identité nationale des Serbes en Bosnie et la pérennité de l’unité du pays. Dans un contexte déjà chargé d’histoire et de ressentiments, cette dynamique électorale pourrait bien devenir une pièce maîtresse à surveiller de près dans l’échiquier géopolitique des Balkans.