Deux ans après le début de la guerre entre l’armée soudanaise et la milice paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR), le Soudan et ses 48 millions d’habitants sont plongés dans une crise humanitaire sans précédent. Alors que des dizaines de milliers de personnes sont mortes, près de 13 millions ont été déplacées et 25 millions se trouvent au bord de la famine, selon l’ONU. 12 millions de déplacés, 30 millions de personnes dépendantes de l’aide humanitaire. La pauvreté, la famine, des villes anéanties, une économie en lambeaux. On l’oublie souvent : le Soudan est confronté à la plus grave crise humanitaire au monde.
Le 15 avril 2023, le Soudan a replongé dans une guerre ouverte opposant l’armée nationale (SAF), dirigée par le général Abdel Fattah Al-Burhan, et les Forces de soutien rapide (RSF) du général Mohamed Hamdane Dagalo, alias « Hemedti ». Cet affrontement, bien qu’inattendu dans sa soudaineté, est le résultat d’un processus de fragmentation politique amorcé dès 2019. Précipitée par les ambitions rivales d’Abdel Fattah al-Burhane et de « Hemedti », les deux généraux putschistes à l’origine du coup d’État contre le président Omar El-Béchir le 11 avril 2019, la guerre s’est rapidement étendue à tout le pays, le morcelant en plusieurs fronts.
Après la chute du régime d’Omar el-Béchir, une transition politique fragile avait été entamée, reposant sur un équilibre instable entre civils et militaires. En octobre 2021, ce compromis s’est effondré lorsque Burhan et Hemedti orchestrent un coup d’État contre les autorités civiles. La question du statut futur de la RSF, notamment son intégration au sein des forces régulières, devient rapidement un point de rupture. L’absence de médiation viable conduit à un affrontement armé majeur.
Dans les premiers mois du conflit, l’armée régulière se cantonne dans une poignée de bases militaires dans l’Est et à Khartoum, tandis que les FSR s’implantent dans le Sud et l’Ouest, notamment dans la région du Darfour et dans l’État d’Al-Jazira. Jusqu’en septembre 2024, lorsque les troupes d’Abdel Fattah Al-Burhane décident de partir à l’offensive et de se lancer à la conquête des zones qui échappent à son contrôle.
Elles regagnent alors du terrain dans l’État de Sennar, à la frontière éthiopienne, puis dans celui d’Al-Jazira, avant de parvenir, finalement, à reprendre Khartoum. Le 26 mars dernier, le général Al-Burhane apparaît ainsi triomphant sur le tarmac de l’aéroport international de la capitale. Quelques jours plus tard, le 6 avril, les paramilitaires reconnaissent avoir cédé leurs positions.
En deux ans, le conflit a eu des conséquences humaines et matérielles considérables. Selon les estimations les plus crédibles, plus de 150.000 personnes ont été tuées, dont près de 61.000 à Khartoum. L’UNHCR fait état de 8,8 millions de déplacés internes et de 3,5 millions de réfugiés ayant fui vers les pays voisins.
Des cas de viols collectifs, d’enrôlements forcés d’enfants, de nettoyages ethniques au Darfour et de bombardements urbains indiscriminés ont été documentés. Le système de santé est gravement touché : 80 % des hôpitaux sont hors service, et des épidémies de choléra et de rougeole ont été signalées. Une frappe aérienne sur un hôpital de West Kordofan, en juin dernier 2025, aurait causé la mort de 40 personnes selon l’OMS[1].
Les acteurs humanitaires évoquent également un bilan nutritionnel alarmant : plus de 522.000 enfants seraient décédés de malnutrition aiguë ou de maladies évitables depuis le début du conflit. Pourquoi la guerre au Soudan pourrait entraîner une partition du pays ?
C’est un conflit lointain auquel les médias ont difficilement accès. Deux camps se livrent des combats féroces depuis avril 2023 : d’un côté, l’armée gouvernementale emmenée par Abdel Fattah Al-Buhrane, considéré comme le chef d’Etat de facto du Soudan ; de l’autre, les FSR, les Forces de soutien rapide, les paramilitaires de Mohammed Hamdane Dagalo, chef de guerre connu aussi sous le nom de « Hemedti ».
Ces derniers mois, l’armée a regagné du terrain. C’est surtout vrai à Khartoum, la capitale. Au début de la guerre, les Forces de soutien rapide avaient pris le contrôle de nombreux quartiers de la ville mais l’armée, de nouveau à l’offensive, a progressé ces derniers mois, jusqu’à reprendre en mars dernier le palais présidentiel. Seules quelques poches de Khartoum restent aux mains des paramilitaires qui perdent chaque jour du terrain.
Les FSR pourraient donc être contraints de renoncer à la capitale pour se replier vers leurs fiefs, au Darfour, dans l’ouest, où une seule grande ville leur résiste, El-Fasher.
De son côté, l’armée contrôle l’est et le nord du Soudan mais refuse d’abandonner le Darfour aux rebelles, où les combats entre les deux belligérants continuent de s’amplifier.
Mais au Darfour, ce sont d’abord les paramilitaires qui font régner la terreur. Même si les deux camps sont accusés de crimes de guerre, les FSR sont réputés pour leur barbarie avec de nombreuses exactions, des exécutions de masse et des violences sexuelles…
Les ONG de défense des droits humains dénoncent régulièrement depuis deux ans des crimes de guerre et potentiels crimes contre l’humanité perpétrés par les deux camps : enfants enrôlés de force, viols de masse, villages brûlés, bombes lâchées sur des marchés…
Les FSR ont probablement et délibérément laissé Khartoum à l’armée pour pouvoir se concentrer sur les zones qu’elles contrôlent dans l’ouest et le sud. Elles se sont alliées à divers groupes locaux pour créer un gouvernement parallèle dans ces régions. Une charte a été signée en février dernier au Kenya.
L’Union africaine, l’Union européenne, entre autres, s’inquiètent ainsi d’un risque sérieux d’une partition du Soudan. Toutes les tentatives de médiation ont échoué. Les deux camps se montrent déterminés. Et ils sont chacun soutenus par des puissances étrangères attirées notamment par les ressources naturelles du Soudan : Les Emirats arabes unis aux côtés des FSR ; et l’Egypte, la Turquie ou l’Iran pour épauler l’armée officielle.
L’Égypte soutient l’armée régulière, dans un souci de stabilisation de la région du Nil et de préservation de ses intérêts hydriques. La crainte d’un effondrement prolongé du Soudan, à ses portes sud, alimente un engagement discret mais constant en faveur de la SAF.
La Turquie a confirmé, par le biais de ses contrats de défense, la livraison de drones Bayraktar TB2 à l’armée soudanaise. Cette coopération s’inscrit dans une stratégie régionale plus large, visant à étendre son influence en Afrique orientale.
Quant à la Chine, elle adopte une posture prudente. Si elle ne soutient activement aucune des deux factions, elle reste très attentive à la sécurisation de ses investissements, notamment dans les secteurs des infrastructures et des télécommunications.
Le conflit touche aussi les pays voisins, le Tchad, le sud-Soudan. Dans ce contexte l’ouverture de négociations est davantage compliqué et à ce stade Abdel Fattah Al-Burhan n’y est pas favorable, d’autant plus que sur le front son armée a repris l’avantage.
Les FSR, eux, ont perdu des alliés, mais ils tiennent toujours le Darfour d’une main de fer. Et menacent d’en prendre intégralement le contrôle.
Malgré plusieurs tentatives de médiation notamment par l’Union africaine, l’IGAD, et des initiatives conjointes américano-saoudiennes aucun cessez-le-feu durable n’a pu être imposé. L’hostilité entre les deux parties reste entière, et les efforts internationaux souffrent d’un manque de coordination et de volonté politique.
En avril 2025, la conférence de Londres, censée mobiliser des financements humanitaires, s’est soldée par un échec partiel : seulement 10 % des fonds attendus ont été obtenus.
L’inaction diplomatique, conjuguée à une attention médiatique fragmentaire, contribue à une forme d’invisibilité du conflit sur la scène internationale, malgré son ampleur.
Le Soudan présente aujourd’hui les signes d’un effondrement prolongé de l’État. L’appareil institutionnel est désintégré, l’autorité politique centrale est inexistante, et le territoire est fragmenté entre zones contrôlées par la SAF, la RSF, ou par une mosaïque de groupes autonomes.
L’économie repose majoritairement sur des ressources extralégales telles que l’exploitation minière, la contrebande d’armes, ou les taxations illégales. Les services publics sont inexistants tant dans les régions rurales que dans les centres urbains, les populations dépendent de réseaux informels, d’ONG ou d’acteurs étrangers pour survivre.
Cette situation favorise la multiplication des seigneurs de guerre, le renforcement des milices locales, et l’émergence d’une guerre de prédation plus que de souveraineté.
Le conflit soudanais illustre la dynamique des guerres civiles contemporaines, où l’effondrement de l’État, les rivalités militaires internes et les ingérences étrangères produisent un chaos et une instabilité durable. Ni la SAF ni la RSF ne disposent des moyens pour l’emporter décisivement, et l’impasse militaire s’accompagne d’un effondrement humanitaire dramatique, largement ignoré sur la scène internationale.
Loin d’être un affrontement localisé, cette guerre est devenue un conflit à ramifications régionales, où chaque puissance impliquée défend ses propres intérêts sans volonté de stabilisation durable. En l’absence d’une initiative diplomatique cohérente et indépendante, le risque est grand de voir le Soudan s’enliser dans un scénario de fragmentation prolongée, à l’image de la Libye post Kadafi ou de la Somalie.
Plus qu’une crise africaine, il s’agit d’un révélateur du désengagement international face aux conflits perçus comme « périphériques », mais aux conséquences stratégiques bien réelles.
Face à cette situation, les besoins de financements pour l’aide humanitaire sont plus urgents que jamais. Et la baisse des subventions de l’aide humanitaire, notamment américaine, rend la situation très inquiétante pour le Soudan et le maintien des opérations humanitaires. Les besoins sont de plus en plus importants, alors que l’aide est de plus en plus difficile à fournir. À l’ouverture de la conférence de Londres, plusieurs pays avaient annoncé pour plus de 800 millions d’euros de nouveaux financements pour l’aide humanitaire. Mais l’aide financière ne suffira pas. Elle doit s’ajouter à des efforts politiques de la part de l’armée soudanaise comme des FSR pour permettre l’acheminement de cette aide humanitaire dans l’ensemble du pays.
[1] The Guardian – « WHO says attack on Sudanese hospital killed more than 40 civilians » by Rachel Savage. 24 Jun 2025 16.12 CEST. « Five health workers reportedly among the dead in West Kordofan as paramilitary RSF blames Sudanese military » https://www.theguardian.com/world/2025/jun/24/sudan-hospital-attack-west-kordofan